Encore confidentiels il y a 10 ans, les Rhums monovariétaux sont désormais devenus incontournables pour les distilleries des DOM-TOM (et d’ailleurs !) et sont largement plébiscités par les dégustateurs. Gros plan sur ces Rhums qui sont de véritables révélateurs de terroir.
Qu’est-ce qu’un Rhum monovariétal ?
Un Rhum monovariétal est un Rhum de pur jus de canne ou de sirop de canne produit exclusivement à partir d’une seule variété de canne à sucre. Usuellement, les producteurs cultivent ou achètent des cannes à sucre de différentes variétés pour produire leurs Rhums. Dans le cas d’un Rhum monovariétal, le distillateur choisit de privilégier l’expression aromatique pure d’une seule souche de canne et ainsi de valoriser un terroir. Car, à l’instar des cépages dans le vin, chaque variété de canne à sucre dispose d’une signature organoleptique unique et identifiable.
Cette approche permet aussi de répondre aux attentes des dégustateurs qui sont en demande toujours croissante de transparence et d’identités aromatiques fortes.
Un travail exigeant
Élaborer un Rhum monovariétal est plus complexe et demande une organisation rigoureuse de la part du distillateur. En effet, il doit :
– cultiver séparément la variété de canne à sucre concernée
– récolter et presser rapidement la canne pour éviter les contaminations croisées
– fermenter puis distiller en lots distincts du reste de la production
Mais l’approche monovariétale a aussi ses avantages car elle permet aux distillateurs d’approfondir leurs connaissances techniques : spécificités culturales, comportement lors de la fermentation et de la distillation, particularités organoleptiques… Au cours des siècles, ce travail de fond a permis aux cultivateurs de canne et aux distilleries de sélectionner, modifier ou hybrider les variétés de canne à sucre les plus adaptées à la production de Rhum. Car, s’il existe plusieurs milliers de variétés de canne à sucre, toutes n’ont pas vocation à se transformer en une fabuleuse eau-de-vie. Les producteurs disposent tout de même d’un arsenal impressionnant de plusieurs centaines de variétés pour produire du Rhum !
Tour d’horizon des Rhums monovariétaux et de leur canne associée
Canne Bleue (dénomination technique : Canne B69-566)
Née en 1969 à la Barbade, la canne bleue doit son nom à la cire qui recouvre sa tige, lui conférant une couleur bleutée. Elle est adaptée aux zones humides et nécessite de bonnes réserves en eau. Moyennement fibreuse, sa teneur en sucre est très bonne.
Star des cuvées monovariétales, la canne bleue a été rendue célèbre par l’Habitation Clément avec sa cuvée éponyme créée en 2001. Le lancement officiel de chaque millésime a lieu tous les ans à l’Habitation le 23 Novembre, date de la Saint Clément.
En Guadeloupe, la famille Longueteau cultive également cette variété depuis de nombreuses décennies. Souvent assemblée, elle fait aussi l’objet de soins tous particuliers dans les cuvées parcellaires monovariétales qui ont construit la réputation de la distillerie de Capesterre-Belle-Eau.
Depuis 2019, la distillerie Depaz en Martinique propose également un Rhum parcellaire monovariétal avec la Cuvée Papao.
Canne Rouge (dénomination technique : Canne R579)
Autre classique des Rhums monovariétaux : la canne rouge, née sur l’Île de la Réunion. Canne adaptée aux zones de basse altitude où elle est alors très productive, elle atteint son pic de teneur en sucre en fin de saison.
La canne rouge fut la première variété mise à l’honneur par la distillerie La Favorite avec sa cuvée parcellaire Bel Air. Aujourd’hui, la parcelle est en jachère et c’est la parcelle complantée La Plaisance qui a pris la relève, plantée en canne rouge et bleue.
Parmi les grands classiques qui mettent en avant cette variété on retrouve une nouvelle fois la distillerie Longueteau. Le domaine, découpé en 12 parcelles accueille largement la canne rouge avec la cuvée parcellaire N°1 notamment.
Canne Roseau (dénomination technique : Canne B59-92)
Née en 1959 à la Barbade, elle apprécie les sols riches et bien pourvus en eau. Plutôt fibreuse et d’une teneur en sucre moyenne, la canne roseau est une variété rustique mais reste sensible au stress hydrique.
La distillerie La Favorite fût la première à mettre en avant cette variété avec son Rhum monovariétal parcellaire La Digue. Cette cuvée a mis en lumière la forte personnalité aromatique de la canne roseau avec ses accents minéraux, lactés et réglissés caractéristiques.
Depuis, la distillerie A1710 lui a emboîté le pas et propose également une cuvée monovariétale 100% canne roseau cultivée en Agriculture Biologique.
Canne Noire
Cette variété, aux origines floues, a bien failli disparaître au début des années 1970. Affichant des rendements à l’hectare 2 fois inférieurs à ceux de la canne rouge, elle a été massivement arrachée aux profits de variétés plus productives.
Frôlant l’extinction, seule la distillerie Bologne en Guadeloupe conserva à l’époque quelques parcelles de cette canne très aromatique. En 2015, Bologne embouteille le premier Rhum monovariétal 100% canne noire, le fameux Black Cane. Elle enfonce le clou quelques années plus tard avec 2 cuvées 100% canne noire : un Rhum parcellaire nommé La Coulisse, puis un Rhum Brut de Colonne. Depuis, une autre distillerie de Guadeloupe, Montebello, lui a emboîté le pas en proposant une cuvée monovariétale de canne noire : le Zenga Black.
Et ailleurs ?
Le reste du monde n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de proposer des Rhums monovariétaux. Si vous avez lu notre article retraçant l’histoire de la canne à sucre, vous savez à quel point c’est une plante globe-trotteuse. Il n’est donc pas rare de trouver des variétés endémiques partout entre les 2 Tropiques. Et entre canne à sucre endémique et Rhum monovariétal, il n’y a qu’un pas ! Ainsi, l’on rencontre des Rhums monovariétaux dans chaque région productrice de Rhum ou presque.
En Afrique du Sud, la distillerie Mhoba a fait beaucoup parler d’elle ces dernières années, notamment parce qu’une seule variété de canne sert à élaborer ses Rhums : la canne Nkomazi. Idem pour la Polynésie Française qui cultive et entretient des variétés endémiques, au premier rang desquelles la canne O’Tahiti. Enfin, le Sud-Est asiatique a aussi son mot à dire dans le domaine puisque la Distillerie d’Indochine, au Vietnam produit exclusivement des Rhums monovariétaux depuis sa création en 2018.
Et ce n’est que le début ! Avec l’essor de la catégorie Rhum dans son ensemble et la maîtrise croissante du sujet par les dégustateurs, nul doute que les Rhums monovariétaux n’en sont qu’au début d’une longue et belle aventure !