Une brève histoire de la canne à sucre
Étonnamment, les origines du Rhum, sa matière première, ses méthodes de fabrication sont souvent obscures à l’amateur occasionnel. Aussi, nous nous penchons aujourd’hui sur l’histoire et la vie tumultueuse de la canne à sucre, ou plutôt des cannes à sucres.
Définition
La canne à sucre est une plante vivace tropicale cultivée appartenant au genre saccharum de la famille des graminées (Poaceae). Son port de roseau lui permet d’atteindre une hauteur allant de 2.5 à 6 mètres selon les espèces. Le diamètre de ses tiges varie de 1.5 à 6 centimètres.
Origines
La genèse de la canne à sucre nous ramène plusieurs milliers d’années avant notre ère en… Asie du sud-Est ! En effet, contrairement aux idées reçues, notre graminée n’est pas du tout originaire du bassin caribéen. Elle y sera apportée par l’Homme au cours d’une des nombreuses péripéties qui jalonne son histoire. Nous y reviendrons plus tard. Plante cultivée, la répartition de la canne sur le globe est le résultat de l’expansion de sa culture au cours des siècles. À ce jour, les historiens privilégient 2 pistes quant au lieu d’origine de la canne.
La première penche pour l’archipel de Nouvelle-Guinée. De là, elle se serait répandue dans les îles du l’Océan Pacifique et Indien ainsi que sur la péninsule indochinoise au grès des migrations humaines. Un élément qui contribue à assoir cette théorie est que l’on trouve en Nouvelle-Guinée la variété Saccharum robustum qui est considérée comme l’ancêtre de la canne à sucre moderne Saccharum officinarum.
La seconde piste met en avant le sous-continent indien comme bassin d’origine. De fait, la canne à sucre y est cultivée depuis plus de 4000 ans et elle tient une place importante dans la culture et le folklore ruraux indiens. Par ailleurs, le mot sucre est dérivé du sanskrit « Shakar » (शर्करा).
Où que se situe la vérité, force est de constater que la canne à sucre prend racine bien loin des Caraïbes…
Diffusion vers l’Europe
Mais alors, comment cette graminée est-elle parvenue jusqu’à nous ? Comme souvent à l’époque, guerres et échanges commerciaux vont largement contribuer à la diffusion cette plante qui est aujourd’hui l’un des végétaux les plus cultivés au monde. Ainsi, en -325 avant notre Ère, l’un des amiraux d’Alexandre le Grand, Néarque, dans ses récits de campagne, écrit au sujet d’un roseau extraordinaire qui produit du miel sans le concours des abeilles et dont on tire un vin délicieux… Même si le terme n’est pas employé, il est fort probable que ce militaire de l’Antiquité fasse référence à la canne à sucre.
Il faut ensuite attendre le XIIème siècle pour que le sucre se répande en l’Europe. Car, aussi incroyable que cela puisse nous paraître aujourd’hui, il faut bien comprendre qu’au début du Moyen-Âge, personne à l’Ouest de la Mer Noire n’a jamais entendu parler de sucre de canne. Seul le miel est alors connu comme moyen d’adoucir une préparation culinaire. À son arrivée sur les tables européennes, le sucre est qualifié « d’or blanc ». Denrée rare et luxueuse réservée aux plus hautes couches des sociétés médiévales. Réputée pour avoir des vertus médicinales, la canne à sucre est vendue dans les officines des apothicaires, dont elle tirera son nom scientifique : Saccharum officinarum.
Arrivée dans les Caraïbes
C’est à la fin du XVème siècle en 1493, que Christophe Colomb, lors de son second voyage aux Antilles, emporte la canne à sucre dans les cales de ses caravelles. La plante, dont la propagation se fait très aisément par bouture, va s’épanouir sous les latitudes caribéennes. Au cours des trois siècles qui suivent, sa culture va exploser pour devenir l’une des denrées les plus importantes du commerce mondial. Avec pour terrible conséquence l’intensification du commerce triangulaire.
De véritables empires sucriers vont naître et disparaître au gré des alliances commerciales et des conflits armés qui vont secouer l’arc caribéen. Et là où la canne à sucre est reine, le Rhum est prince. En l’espace de quelques décennies, ce spiritueux à la mauvaise réputation et originellement réservé aux strates les plus basses de la société, va s’offrir une respectabilité et son commerce sera florissant tout au long des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècle pour devenir l’un des alcools les plus consommés au monde.
La fin d’une ère
L’économie sucrière française s’écroule au début du XIXème siècle. Le violent blocus économique imposé par les britanniques depuis, conséquence de la Bataille des Saintes en Avril 1782, mène Napoléon 1er à chercher une solution aux pénuries sévères de sucre sur le territoire métropolitain. Ainsi, en 1812, un décret impérial ordonne l’établissement de quatre fabriques de sucre de betterave avec pour objectif de produire 2 millions de kilos dès la première année. Le sucre devient dès lors une denrée disponible à bas coût en métropole et la nécessité de s’approvisionner dans les Caraïbes disparaît.
C’est alors la fin d’une production sucrière de masse dans les Antilles françaises. L’économie locale est mise à genou pendant près d’un siècle et la restructuration sera lente et douloureuse. La myriade de petites sucreries indépendantes ferment, fusionnent ou sont absorbées par de plus grosses structures. Et la production de Rhum en pâti, inévitablement. Les distilleries se restructurent et abandonnent progressivement la production de Rhums de mélasse encore très largement majoritaire à l’époque. Rendez-vous compte : en 1936, la Martinique reste le premier exportateur mondial de Rhum de mélasse ! C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que ces derniers sont délaissés au profit des Rhums de pur jus de canne à sucre, qui bientôt, porteront le nom d’Agricole et feront la renommée des Antilles françaises à travers le monde…