Caroni… Un Rhum de légende pour certains, un objet marketing surfait pour d’autres… Peu de distilleries défuntes peuvent se targuer de jouir d’une aura aussi prestigieuse ! La Maison des Rhums retrace pour vous le destin d’un Rhum qui a bien failli disparaître dans les méandres de l’Histoire…

Vie et fin d’une distillerie

1899 ? 1914 ? 1918 ? Des origines incertaines

Située dans l’arrière-pays de Port-d’Espagne, la capitale Trinidadienne, la distillerie Caroni puise son nom dans la toponymie locale. Elle se voit souvent attribuer 1918 comme date de naissance. Cependant, certains documents viennent semer le doute. En effet, dans une publicité publiée dans le Trinidad Guardian le 1er Janvier 1914, l’établissement le Black Cat Bar fait la promotion d’une cuvée de Rhum Caroni âgé de… 15 ans. Ce bar le présente même comme étant l’une de ses 3 spécialités. Intriguant, puisque cela placerait la naissance de la distillerie Caroni en 1899, voire plus tôt ! Malheureusement, les sources fiables sont trop rares, perdues dans les méandres de l’Histoire et nous ne saurons probablement jamais quand exactement la distillerie est née…

Ce qui est certain en revanche c’est que, dès ses origines, la distillerie est un domaine sucrier. Elle cultive sur ses terres des cannes pour extraire le sucre et produit du Rhum avec la mélasse résultant de cette extraction. D’où son nom complet : Caroni Sugar Estate (Domaine Sucrier Caroni en langue de Molière).

1920-1930 : la construction d’une renommée

Caroni commence à établir sa réputation dans la production de Rhums aux styles variés grâce à son large parc d’appareils de distillation. En effet, la distillerie dispose bien entendu d’alambics à repasse mais également d’une colonne Coffey en bois avec lesquels elle produit une grande variété de Rhums : des plus lourds au plus légers. Ces multiples Rhums sont vendus sous différentes marques sur Trinité-et-Tobago (White Magic, Special Old Cask Rum, Felicite Gold…) ou vendus en vrac à des négociants en Europe et aux États-Unis.

1936 : essor sous égide britannique

Le Caroni Sugar Estate est racheté par le géant sucrier Britannique Tate & Lyle. Bénéficiant de nombreux investissements, la distillerie devient alors l’un des 3 plus importants producteurs de Rhum de Trinité-et-Tobago.

1945-1950 : l’apogée

La distillerie élargit ses capacités de production pour répondre à la demande croissante. Son nom est alors synonyme de qualité. Les nombreuses variétés de Rhum Caroni sont utilisées dans moult assemblages de Rhums vendus en Europe et aux États-Unis. Il entre notamment dans la composition du « Daily Tot », la ration quotidienne de Rhum distribuée aux marins de la Marine Royale Britannique.

1960-1970 : le début de la fin

En cette seconde moitié du 20ème siècle et après des décennies de croissance, le vent tourne. Les difficultés s’enchaînent pour la distillerie Caroni. Le marché du sucre est au plus bas et la concurrence internationale dans la production de Rhum est féroce. Dans une tentative de limiter les pertes financières du Caroni Sugar Estate, le gouvernement de Trinité-et-Tobago acquiert 51% des parts du domaine. Tate & Lyle conserve 49% du capital et garde la direction opérationnelle du domaine.

1975 : dernier effort de sauvetage

L’industrie sucrière de Trinité-et-Tobago (et de la Caraïbe dans son ensemble) s’enfonce dans une crise économique sans précédent. Elle devient incapable de rivaliser avec les nouveaux acteurs du marché international. La réputation des Rhums Caroni ne suffit pas à maintenir l’équilibre financier du domaine. Dans une dernière tentative de sauver le Caroni Sugar Estate, l’État Trinidadien rachète intégralement le domaine en 1975. L’entreprise se renomme alors Caroni (1975) Ltd.

1975 – 2003 : la chute

Pendant le dernier quart du 20ème siècle, le domaine sucrier Caroni et sa distillerie achèvent d’être distancés face à la concurrence. Mauvaise gestion, profonds manques d’investissements pour moderniser les installations… Caroni (1975) Ltd accumule les dettes et ne parvient plus à tenir la dragée haute à des compétiteurs ayant réussi à prendre le virage de la modernité.

En l’an 2000, le gouvernement de Trinité-et-Tobago lance un ultime appel aux investisseurs privés, mais sans succès. La cause ? Un litige sur la valeur des 18000 fûts de Rhum en vieillissement, enterrant les minces espoirs de reprise. La distillerie et le domaine ferment définitivement leurs portes le 31 Juillet 2003.

Une renaissance inattendue

Mais l’histoire mouvementée de Caroni ne s’arrête pas là. Ses Rhums vont connaître un nouvel âge d’or et devenir iconiques par l’entremise des embouteilleurs indépendants et plus particulièrement d’un : Velier.

2004 : les prémices d’un retour en grâce

Moins d’un an après la fermeture de la distillerie, les 18000 fûts restants de Rhum Caroni attirent l’attention d’un petit groupe de négociants très au fait du funeste destin de Caroni. Tout particulièrement l’embouteilleur indépendant italien Velier. Son patron, Luca Gargano, se rend sur place et mesure l’étendue du « trésor ». Des milliers de fûts de Rhum au profil aromatique unique entreposés dans d’excellentes conditions de vieillissement tropical. Il contacte les gérants de ce stock et se fait envoyer des échantillons de fûts en Italie, au siège de la société Velier. La dégustation est sans appel : les Rhums Caroni s’avèrent aussi exceptionnels que sauvages. La clé de leur identité hors du commun réside dans de lourdes notes d’hydrocarbures caractéristiques. Témoins d’un passé glorieux désormais révolu, ces Rhums ne demandent qu’à rencontrer leur public. Luca Gargano fait l’acquisition d’un premier lot d’environ 100 fûts datant des années 1980. En parallèle, d’autres acteurs du monde du Rhum achètent une partie des stocks. Angostura, dernière distillerie fumante de Trinité-et-Tobago, mais aussi des embouteilleurs indépendants tel que Main Rum, Bristol Classic Rum et d’autres…

 

2006-2011 : la construction d’une légende

Ces années voient la popularité des Rhums Caroni grandir. Dès les premiers embouteillages, ce Rhum au style si particulier reçoit un accueil enthousiaste des dégustateurs. Velier est le fer de lance de cette renaissance auprès du grand public. Leurs embouteillages, dans leurs iconiques flacons noirs orné d’étiquettes artistiques, sont riches en informations. Millésime de distillation, type de barrique employée pour le vieillissement, taux de part des anges, stricte absence d’additifs, nombre de bouteilles… Des détails dont ont soif les amateurs comme les collectionneurs.

Durant cette période, Velier achète pas moins de 1388 fûts de Rhum Caroni et chaque cuvée se vend plus rapidement que la précédente.

Depuis 2015 : la Caroni-mania

Les Rhums Caroni sont désormais célébrés à travers le monde. Nourris par ce destin si singulier, ils font l’objet d’un « culte » de la part des collectionneurs. Capitalisant sur ce succès, Velier multiplie les collaborations et les cuvées en édition limitée. On dénombre par moins de 97 embouteillages différents de Rhum Caroni sous l’étiquette Velier entre 2006 et 2025 ! Sur le marché secondaire et les places de vente aux enchères les plus rares bouteilles de Rhum Caroni voient leur prix s’envoler.

Héritage et influence

Si certains déplorent cette financiarisation, d’autres saluent la renaissance d’un Rhum d’exception ayant frôlé l’oubli. En tous les cas, il faut reconnaître que l’intervention de Velier a permis de préserver et mettre en valeur l’excellence du savoir-faire qui a donné naissance aux Rhums Caroni. Cette mise en lumière, dont l’embouteilleur Italien fût l’acteur majeur, a eu un impact significatif sur l’industrie du Rhum. Elle a souligné l’importance de protéger les méthodes de distillation traditionnelles et inspiré d’autres producteurs à valoriser l’histoire des distilleries de Rhum.

Bien qu’à tout jamais défunte, la distillerie Caroni continue de vivre à travers ses Rhums exceptionnels. Grâce à l’initiative de Velier, les Rhums Caroni sont devenus légendaires et ardemment recherchés par les connaisseurs du monde entier. Ils ont aussi contribué à redéfinir les normes de qualité et d’authenticité dans la production du Rhum. Un beau témoignage sur l’importance de la passion et de la persévérance…

 

 

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