Suite et fin de notre lexique du Rhum où il est question de la soif des anges, de l’influence des Anglais dans l’AOC Martinique et des règles d’or pour préparer son Ti-punch !

Jus de canne

LA matière originelle. Sans jus de canne, adieu sucre complet et cassonade, bye bye mélasse et sirop de canne, ciao Rhums et Cachaças ! Extrait de la canne à sucre par broyage mécanique via une presse ou un moulin, on le nomme également vesou. Il contient 70% d’eau, 14% de saccharose, 14% de matière ligneuse et 2% d’impuretés. Directement mis en fermentation puis distillé, le vesou est la matière première des Rhums de pur jus de canne. Pour les Rhums de mélasse, il va d’abord falloir extraire le saccharose du jus par cuissons successives puis centrifugation. Après cette dernière, on obtient d’une côté la cassonade et de l’autre la mélasse qui sera fermentée puis distillée pour obtenir un Rhum Traditionnel.

On peut également chauffer le jus de canne pour le concentrer et obtenir ainsi un liquide visqueux nommé sirop ou miel de canne avec lequel on va également produire du Rhum. Notamment (mais pas exclusivement) en Amérique Latine.

Maturation

Synonyme : vieillissement. Fait de mettre du Rhum dans un fût et d’attendre qu’il veuille bien faire preuve de maturité… (un peu comme nous !) Bon, soyons sérieux un instant. Comme bien des choses dans l’Histoire de l’Humanité, la maturation des alcools en fût est une affaire de découverte fortuite. Car à l’origine, tonneaux, fûts et barriques ne sont « que » des moyens de transporter des liquides (et pas seulement) d’un point A à un point B.  Et c’est non sans stupeur que l’Homme constata une altération positive du goût du contenu lors de cas de contact prolongé avec le contenant. Eurêka ! Dès lors, il n’est plus question d’utiliser les fûts uniquement pour le transport. Le fût devient l’outil incontournable des producteurs de Cognac, de Whisky et de Rhum. Il va anoblir l’esprit qu’il héberge en l’enrichissant de notes boisées et en lui conférant une magnifique teinte dorée. Pour approfondir le sujet, notre article sur la maturation du Rhum vous tend les bras !

Mélasse

Commençons avec une froide mais fort claire définition : co-produit recueilli lors de la fabrication du sucre de canne. Liquide visqueux et homogène, la mélasse présente une couleur allant du marron foncé au noir et une odeur et saveur caractéristiques de la réglisse.

C’est à partir de la mélasse que sont élaborés 90% des Rhums dans le monde. Rien que ça… Et historiquement, le Rhum a d’abord été fait à partir de mélasse. Le Rhum de pur jus de canne fera son apparition dans un second temps. Pourquoi ? Cela tient au sucre et à sa production. Car le Rhum n’est qu’un produit dérivé de la culture sucrière. La canne à sucre a pendant de nombreux siècles été plantée pour produire du sucre. Or, la transformation de la canne laisse le producteur de sucre avec 2 produits : la cassonade et la mélasse. Et le meilleur moyen de valoriser cette dernière et de la transformer en Rhum ! Ainsi à côté de la raffinerie de sucre, les planteurs installaient une distillerie pour produire du Rhum de mélasse.

Très souvent dévalorisée, la mélasse n’a pas toujours bonne presse et on lui prête tout un tas de travers bien souvent infondés. Régulièrement affublée du titre peu flatteur de « résidu de canne à sucre » avec lequel on produit des « Rhums industriels » … Avouez que cela fait tout de suite moins rêver que « Rhum Agricole de pur jus de canne à sucre ». On croit souvent qu’un Rhum produit à partir de mélasse est forcément sucré. C’est faux. Nous invitons chaleureusement les dubitatifs à goûter un New Grove 10 ans de l’Île Maurice. Plus sec, tu meurs ! Et pourtant, il s’agit d’un Rhum de mélasse.

Millésime

À l’instar de la sphère vinicole, le millésime désigne l’année de production d’un Rhum. La cuvée qui présente un millésime doit être composée exclusivement de Rhum issu du millésime en question. Un phénomène qui s’est largement répandu dans le monde des spiritueux ces dernières années. Pratique quand on souhaite avec épater la galerie avec un Rhum qui porte une année significative pour celui à qui on l’offre !

Part des anges

Cette expression très poétique désigne le cauchemar de tous les producteurs de spiritueux vieillis en barrique ! Car si le fût est un récipient étanche (encore heureux !) il n’est pas hermétique. Par les pores du bois, de l’air va entrer et sortir du fût. Cette « respiration » est absolument fondamentale car elle permet un phénomène de réduction oxydative, aussi nommé de façon plus prosaïque le vieillissement. La contrepartie ? Une inexorable évaporation du précieux liquide ! Si sous nos latitudes continentales, les anges restent sages et ne ponctionnent qu’1 à 4% du volume d’un fût par an, sous les tropiques, ils peuvent en engloutir jusqu’à 15%, les goinfres ! Cette inextinguible soif des anges à chemise à fleur s’explique par le climat chaud et humide qui règne toute l’année dans les régions tropicales.

Mais pourquoi les producteurs ne recherchent-ils pas à contourner le problème nous direz-vous. Et bien figurez-vous qu’ils ne nous ont pas attendu ! Certains pratiquent le vieillissement continental. La méthode existe depuis plusieurs siècles et nombre de négociants et marchands en ont fait leur spécialité. D’autres installent leurs chais en altitude où les températures plus basses limitent la part des anges. Enfin, il y a eu des tentatives de climatisation des chais. Rafraîchissez les anges et ils auront moins soif. Cependant, la méthode eu pour conséquence d’altérer de façon drastique le profil aromatique du Rhum. Elle fût donc rapidement abandonnée. Depuis quelques années, un compromis semble avoir été trouvé avec la construction de chais semi-enterrés qui limitent la part des anges tout en permettant de conserver le caractère tropical du vieillissement. Fûté…

Planteur

Derrière ce terme se cache 2 choses bien différentes : celui qui cultive la canne à sucre et le célèbre cocktail antillais. Dans notre générosité sans borne, permettez-nous de partager avec vous une recette infaillible qui nous a été soufflée par une grand-mère Martiniquaise. Pour réaliser 4 litres d’un Planteur authentique, mélangez dans un récipient en verre :

– 3 litres de jus de fruit exotique, MO-NO-FRUIT ! Ananas, goyave ou orange par exemple. Haro sur les « jus multivitaminés » et autres « cocktail des îles ».
– 50cl de Rhum Agricole Blanc 50%vol
– 50cl de Rhum Agricole Ambré 50%vol
– 1/2 verre de sirop de sucre de canne
– 9 traits de bitter Angostura (c’est l’ingrédient secret !)
Laissez reposer 3 jours au réfrigérateur avant de servir, puis savourez la mine réjouie de vos convives à la dégustation de ce divin breuvage. De rien.

Et n’oubliez pas que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, on peut vite le perdre de vue avec un délice pareil.

Punch

Terme antillais qui s’emploie en lieu et place de « Rhum Arrangé ». Rhum Arrangé étant un terme originaire de la Réunion, mère patrie du Rhum Arrangé justement. Le Punch (ou Rhum Arrangé du coup) est une macération de fruits frais ou séchés et de sucre, parfois complémentée d’épices dans du Rhum Blanc. Agricole ou Traditionnel, selon où vous vous trouvez. Une durée de macération de 3 mois au minimum semble faire consensus, mais tant que les fruits sont intégralement immergés dans le Rhum, la macération peut se prolonger pendant des années. Ne faîtes pas l’impair de confondre Punch, Ti-punch et Planteur, qui désignent 3 boissons bien distinctes. Lors d’un séjour sous les tropiques, ça ferait tache…

Réduction

La réduction consiste à abaisser le degré naturel d’un Rhum par adjonction d’eau. Comment ?! Mon Rhum ?! Coupé à la flotte ?! Eh bien oui ! Mais avant d’aller vider vos bouteilles dans l’évier en hurlant à la tromperie, laissez-nous vous expliquer. En sortie d’alambic, le Rhum va généralement titrer entre 75%vol et 96.4%vol. Or, la science nous explique que selon le degré auquel on met le Rhum en fût, il ne va pas extraire les mêmes éléments aromatiques du bois. Les producteurs vont donc souvent réduire le Rhum une première fois juste avant la mise en tonneau pour l’aider à extraire les composés aromatiques souhaités. Ensuite, pendant le vieillissement et sauf exceptions rares, le degré alcoolique du Rhum va doucement descendre. Tant et si bien qu’un Rhum entonné à 63%vol va se retrouver plutôt à 58%vol après quelques années de vieillissement. Se présentent alors 2 options pour le maître de chai. Soit il embouteille son Rhum brut de fût, c’est-à dire à son degré naturel (reportez-vous à notre article de blog pour tout apprendre des Rhums bruts de fût). Soit il va le réduire encore pour le ramener à un degré plus bas. Et cela présente de nombreux avantages.

D’une part, à l’allonger d’eau, vous obtenez plus de Rhum. Ce qui n’est jamais une mauvaise chose, n’est-ce pas ? D’autre part, embouteiller du Rhum à 40%vol plutôt qu’à 58%vol le rend plus accessible au commun des mortels. Mais cette réduction n’est pas sans écueil. L’adjonction d’eau doit se faire lentement au risque de perdre des arômes. Les producteurs les plus zélés vont donc faire des réductions au goutte à goutte qui s’étalent sur plusieurs années ! Et lorsque ce travail est bien fait cela vous donne des gnôles magistrales de précision et de persistance aromatique. Et ce, malgré un degré faible. Deux exemples proprement bluffant : le Enmore 2009 signé El Dorado et le La Mauny XO. Goûtez, vous n’en reviendrez pas, foi de La Maison des Rhums !

Rhum

Vous êtes assis à lire un lexique sur le Rhum… Nous osons espérer que vous savez ce que c’est ! Mais au cas où… Le Rhum est une eau-de-vie originaire des Caraïbes, produite soit par distillation de co-produits fermentés de l’industrie sucrière ou mélasse : le Rhum Traditionnel ; soit à partir du jus de canne à sucre fermenté : le Rhum Agricole.

Rhum Agricole

Il s’agit d’un terme très précis qui désigne les Rhums de pur jus de canne produit dans les DOM-TOM ainsi qu’à Madère. En dehors de ces territoires, impossible d’apposer le terme « Agricole » sur une bouteille de Rhum de pur jus. Ne plaisantez pas avec ça, la Loi veille au grain et les producteurs de Rhum Agricole protègent jalousement leur pré carré. Les Rhums Agricoles représentent environ 2% de la production mondiale alors que les Rhums de mélasse en représentent 90% et les Rhums de pur jus de canne (hors Agricole donc) environ 8%.

Rhum Ambré, Rhum Blanc, Rhum Brun, Rhum Paille et Rhum Vieux

Désigne les différentes colorations d’un Rhum en fonction de son vieillissement ou de l’absence de ce dernier. Car le Rhum, nous ne vous apprenons rien, peut se commercialiser sous sa forme non vieillie. Ce qui est impossible pour les Whiskies et les Cognacs pour d’antiques raisons hygiénistes qui n’ont pas été mises à jour. Nous avons d’ores et déjà traité la question des 50 nuances du Rhum dans un précédent article. Aussi, nous ne nous étalerons pas plus avant.

Rhum Arrangé

Voir « Punch ». Trop facile !

Rhum Épicé

Proche cousin du Punch ou du Rhum Arrangé. Le Rhum Épicé (ou « Spiced Rum » pour les amateurs de barbarismes anglais…) est produit par infusion d’un cocktail d’épices et de sucre dans du Rhum. On obtient donc souvent un profil aromatique plus relevé que le Rhum Arrangé. Malheureusement pour le consommateur, Rhums Épicés et Rhums Arrangés sont des catégories fourre-tout où l’on trouve, pardonnez-nous le jeu de mot, à boire et à manger. Colorants, arômes artificiels, taux d’édulcoration à faire pâlir une canne à sucre… Les entourloupes ne sont pas rares. C’est dommage car les 2 catégories contiennent de vraies pépites de grande qualité élaborées à partir de produits exclusivement naturels et nobles. Pour les découvrir, rien ne remplace une visite chez votre caviste qui saura vous conseiller en fonction de vos désirs. De préférence un spécialiste… À Lyon au hasard…

Single Cask

Fût unique, en langue de Molière. Pour beaucoup d’amateurs il s’agit du pinacle du monde du Rhum. Particulièrement lorsque ce fût unique est embouteillé à son degré naturel. Sélectionner un fût unique requiert de la part du maître de chai une connaissance sans faille de son parc de fût. La théorie nous explique que sur 100 fûts en vieillissement, 80 seront de qualité standard, 10 seront de qualité médiocre, 10 de qualité exceptionnelle. Et toute l’expertise du maître de chai consistera à savoir les identifier pour pouvoir les isoler et les offrir à nos papilles ébahies.

Ti-punch

Voici le roi des apéritifs antillais. Le Ti-punch est élaboré à partir de Rhum Agricole Blanc, de sucre et d’un peu de citron vert. Mais attention ! La simplicité de la recette est trompeuse et la préparation d’un Ti-punch ne souffre d’aucune approximation. Dans le choix des ingrédients comme dans l’ordre de leur incorporation. Tout manquement à ces règles strictes sera relevé, à juste titre, comme une sévère faute de goût ! On ne plaisante pas à cette institution créole qu’est le Ti-punch.

Tout d’abord le choix du Rhum. Un Agricole Blanc est obligatoire. Prenez un Rhum Blanc ou Vieux Traditionnel et cela devient un « CRS » (Citron Rhum sucre). C’est très bon, mais ce n’est plus un Ti-punch. Prenez un Rhum Agricole Vieux et cela devient un Ti-vieux. C’est très bon aussi, mais ce n’est plus un Ti-punch. Ensuite le titrage alcoolique. 50%vol sont un minimum requis. En-dessous c’est une Hérésie. Le Ti-punch appelle un Rhum à l’aromatique franche et nette, soutenu (mais jamais dominé) par le sucre et le citron. Et pour cela, un titrage alcoolique élevé est votre meilleur allié. Les Rhums Agricoles Blancs brut de colonne ou d’alambic donnent bien souvent des Ti-punchs prodigieux.

Vient alors le sucre. Là aussi, il se choisit avec soin. Seul pedigree autorisé : le sucre de canne, sous toutes ses formes. En grain ou liquide, les 2 écoles ont leurs partisans et cela reste une affaire de goût. En revanche, utiliser du sucre de betterave est purement criminel !

Le citron vert. C’est là que le bât blesse pour nous qui sommes en Métropole. Trouver des citrons verts de qualité peut parfois être une gageure. Astuce contre-intuitive : prenez les citrons verts le moins vert possible ! Si si… Les moins verts sont les plus mûrs, les plus juteux et les plus aromatiques. Essayez, vous nous remercierez plus tard ! Le citron jaune est à bannir. S’il fait des tartes succulentes, il insulte le Ti-punch par sa présence…

Et si on n’a pas de citron vert ? Pour les épicurieux, il existe une myriade d’alternatives à ce bon vieux citron vert. Un demi maracuja peut faire des merveilles. Les gelées de fruits aussi. Framboise, groseille… Faites des essais, vous aurez souvent de belles surprises. Enfin, pour les traditionalistes hardcore, on optera pour la confiture de surettes cochon. Quasi-impossible à obtenir en Métropole, cette délicieuse confiture est élaborée avec des surettes et des épices. Si son usage est moins répandu de nos jours, elle reste la méthode originelle d’accommoder un Ti-punch.

Pour la préparation. D’abord le sucre au fond du verre. Puis le demi maracuja, la confiture ou le citron vert. Dans le cas de ce dernier, on en prélève une joue, c’est-à-dire zeste, ziste et un peu de chair. Que l’on place dans le verre avec un geste précis : le « pressé-lâché ». On presse la joue au-dessus du verre avant de la laisser tomber dans le verre. Et on donne quelques minutes de repos à l’ensemble avant d’ajouter la dose de Rhum Agricole Blanc.
Vous pouvez, enfin, déguster votre Ti-punch… à température ambiante, comme l’exige la tradition antillaise. Avec modération, comme il se doit.

VO ou VS, VSOP et XO

Ces acronymes sont principalement utilisés dans les îles Françaises pour distinguer les durées de vieillissement des Rhums. Si elles ont strictement encadré par la Loi dans les DOM-TOM (notamment dans l’AOC Martinique et l’IG Guadeloupe), il n’en va pas de même pour le reste du Monde. Et les producteurs sont libres de les appliquer comme ils l’entendent. Prudence donc !

Pour comprendre ces sigles, il faut se pencher sur la commercialisation du Cognac au temps jadis. En effet, ce sont les Anglais (Ils sont décidemment partout…) qui ont mis en place ces dénominations au 19ème siècle. Particulièrement friands de cette eau-de-vie Française, ils établirent une hiérarchie des mentions d’âge afin que le consommateur anglo-saxon s’y retrouve entre les différentes qualités.

VO ou VS. VO pour « Very Old » et VS pour « Very Special ». Ces deux acronymes sont interchangeables et désignent des Rhums d’au moins 3 ans d’âge.

VSOP pour « Very Special Old Pale ». Il est réservé pour des Rhums de 4 ans d’âge minimum. Les lecteurs attentifs noteront la contradictoire mention « Old Pale », vieux pâle. Cela fait référence aux Cognacs vieillis en Angleterre qui, en raison des conditions climatiques locales, restaient clairs, même vieux. Contrairement aux Cognacs vieillis dans leur région de production qui, à âge égal, affichait une robe plus sombre, toujours en raison du climat du Sud-Ouest.

XO ou « Extra Old » enfin, qui peut s’apposer sure une bouteille de Rhum dont le contenu a passé au moins 6 ans en fût.

 

Ainsi s’achève notre lexique du Rhum ! Nous espérons que vous y voyez désormais plus clair dans cet univers foisonnant et passionnant des eaux-de-vie de canne à sucre !

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